EPISODE 1er : L’organisation de la Conférence nationale souveraine : Eyadéma malgré lui !
« Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».
C’est par cette formule inaugurale empruntée à MIRABEAU que l’Archevêque d’Atakpamé d’alors Monseigneur Philippe Fanoko KPODZO lança les travaux de la Conférence nationale après sa désignation comme président du présidium. Même s’il lança les travaux de la Conférence nationale, le chef de l’Etat Gnassingbé EYADEMA ne participa pas personnellement aux assises, se faisant représenter par ses fidèles collaborateurs, dont un certain Agbéyomé KODJO. Il faut rappeler l’organisation de cette Conférence nationale a été arrachée par le Collectif de l’opposition démocratique (COD) au président EYADEMA après d’âpres négociations aux multiples rebondissements depuis le déclenchement du processus de démocratisation par le soulèvement populaire du 5 octobre 1990.
Contraint par l’exacerbation de la contestation politique[1] au début des années 90 et mis sous pression par la communauté internationale[2], le pouvoir monocratique togolais dut se résoudre à entamer des négociations avec l’opposition naissante afin d’éviter l’escalade de la violence et trouver une voie consensuelle démocratisation du régime[3]. Mais les réformes envisagées par les pourparlers initiaux au sujet des revendications portées notamment par le Front des associations pour le renouveau (FAR) dirigé par Me Yawovi AGBOYIBO et la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) dirigée par Me Joseph Kokoou KOFFIGOH se sont heurtés à l'inflexibilité du Chef de l'Etat, qui pourtant avait promis d’engager un processus de « libéralisation des institutions [4]» qui fut classé sans suite[5].
Profitant de la restauration du multipartisme[6], rayé de l’ordonnancement juridico-politique togolais depuis 1967[7], les différents mouvements associatifs contestataires transformés en partis politique, ont mis la pression sur le pouvoir par des actions fortes[8]. Les négociations bilatérales menées entre le camp présidentiel et l’opposition ont abouti en mai 1991 à la naissance de l’idée de l’organisation d’une « Rencontre nationale » interprétée d’ailleurs de façon différente par les deux camps[9].
Pour le camp présidentiel il s’agit d’un « Forum national de dialogue » semblable au « Forum de réconciliation nationale » qui avait été organisée en janvier 1963 après l’assassinat de père de l’indépendance Sylvanus OLYMPIO, alors que l’opposition croyait tenir sa « Conférence nationale » sur le modèle béninois tenu du 19 au 28 février 1990[10]. Ces conceptions sont décrites par Tété TETE dans son ouvrage, en ces termes : « le Général espère obtenir une Conférence nationale, dont les conclusions se situeraient à mi-chemin entre la grande réunion togolaise de 1963 et la Conférence nationale du Gabon de mars 1990 (Bongo y avait réussi à conserver son pouvoir). L’Opposition togolaise, elle, rêve d’assises à la béninoise (jugées plus libres) ».
Après de nouveaux rebondissements[11], de nouveaux pourparlers se sont déroulés du 10 au 12 juin 1991. Un accord entre les deux parties fut signé le 12 juin 1991 et prévoyait la tenue non plus d’un « forum national de dialogue » mais d’une « conférence nationale » prévue pour démarrer le 24 juin. Cet accord national, « « parrainé par l'ambassadeur de France Bruno Delaye, avec la bénédiction de l'Allemagne et des Etats-Unis[12] », servira de feuille de route à la Conférence nationale[13].
Convoqué par décret du président de la République[14], la Conférence nationale débuta finalement le 8 juillet 1991 dans la Salle Fazao de l’ex-Hotel du 2 février, actuel Hotel Radison Blue. Au total, 962 délégués représentant les différentes couches sociales du pays notamment les associations, les collectivités territoriales, l’administration, l’armée etc… étaient cooptés pour participer aux travaux. Dénonçant « un coup d’Etat civil »[15], le président EYADEMA n’est pas retourné aux assises depuis son discours d’ouverture jusqu’à la clôture. A noter également la politique de la chaise vide de l’armée qui disposait de seize délégués attribués.
Dirigé par un bureau d’âge provisoire à l’ouverture des travaux présidé par le doyen d’âge Namoro KARAMOKO, la Conférence élit son présidium le 13 juillet sous la présidence de Monseigneur KPODZRO assisté de Me Joseph KOFFIGOH, vice-président, et de Me Jean Yaovi DEGLI, rapporteur. Durant jusqu’au 28 août 1991, cette Conférence nationale, riche en rebondissements, dont les travaux ont vu se révéler des talents d’orateur, de négociation et de persuasion de plusieurs personnalités, avec l’adoption d’Actes et de Résolutions controversées allant de la proclamation de la souveraineté à la mise en place des institutions de la transition, en passant par les tentatives de déstabilisation du camp présidentiel… (à suivre).
[1] DEGLI (J-Y.), Togo : A quand l'alternance politique ?, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 26. L'auteur établit un catalogue des événements à l'origine de l'organisation de la Conférence nationale, dont il fut le rapporteur général. Il cite entre autres, « le soulèvement populaire du 5 octobre 1990, la grève des étudiants de mars 1991, la descente des femmes dans la rue... ». Il soulève également le rôle important joué les organisations de la société civile dont le Front des associations pour le renouveau (FAR), « dont les négociations ont abouti à la libéralisation de la vie politique et à l'amnistie générale »
[2] HEILBRUM (J-R.), TOULABOR (C.), « Une si petite démocratisation pour le Togo… », Politique africaine, 58, juin 1995, pp. 85-100.
[3] ZIEGLER (J.), Démocratie et nouvelles formes de légitimation en Afrique : les conférences nationales au Bénin et au Togo, notes et travaux n°47, Itinéraires, Genève, octobre, 1997
[4] Intervention au Congrès national du parti unique, le RPT, en mai 1990. Voir ASSIONGBOR (F.), Gnassingbe Eyadema (Volume IV) : Discours et allocutions (1987-1992), Paris, L’Harmattan, 2010, p. 9.
[5] Le chef de l’Etat décréta au Congrès de mai 1990 la séparation du parti et de l’Etat et fit l’annonce de la mise en place d’un comité constitutionnel en vue de doter le Togo d’une nouvelle Constitution. Cette commission est mise en place unilatéralement par le Chef de l'Etat (Décret n°90-173 du 26 octobre 1990 portant création d’une Commission constitutionnelle, JORT, 35e année, n°20 ter, n° spécial, 30 octobre 1990, p.1) , mais l'opposition s'y oppose et réclame des réformes consensuelles.
[6] Loi n° 91-97 du 12 avril 1991 portant charte des partis politiques, JORT, 36e année, n°7 bis, n°7, 12 avril 1991, p.2, Voir ABOUDOU-SALAMI (M-S.), « Reconnaissance du multipartisme au Togo : espoirs et inquiétudes », Revue béninoise de sciences juridiques et administrative, n° spécial, oct. 1995, pp. 37-55. Sur la restauration du multipartisme en Afrique noire francophone, voir MOUDDOUR (B.), « La fin d’un mythe : l’avènement du multipartisme en Afrique », Revue juridique et politique – indépendance et coopération, n°1, jan-mars 1992, pp.38-45 ; GAULME (F.), « L’année du multipartisme en Afrique francophone », Marchés tropicaux et méditerranéens, n° 2361, février 1991, pp.305-307
[7] Décret n°67-111 du 13 mai 1967, portant dissolution des associations nommées Juvento, Mouvement populaire togolais (MPT), Parti de l'Unité togolaise (PUT), Union démocratique des populations togolaises (UDPT), JORT, n°357, 12e année, 16 juin 1967, p. 276
[8] HEILBRUM (J-R.), « Social origins of National Conferences in Benin and Togo », in The Journal of Modern African Studies, 1993, pp. 277-299
[9] DAVID (P.), Togo 1990-1994 ou le droit maladroit. Chronique d’un effort de transition démocratique, Paris, Karthala, 2015 pp. 47 et suivants
[10] TETE (T.), Démocratisation à la togolaise, op.cit., p.61
[11] Voir TOULABOR (C.), HEILBRUM (J-R.), « Une si petite démocratisation… », op. cit.
[12] MASSINA (P.), Droit de l'homme, libertés publiques et sous-développement au Togo, NEA, Togo, Lomé, 1997, cité par DAVID (P.), op.cit., p.76
[13] Décret n°91-179 du 25 juin 1991 portant convocation de la Conférence nationale, modifié par le décret n°91-182 du 2 juillet 1991, JORT, 36e année, n°16, n° spécial, 4 juillet 1991, p.2
[14] Décret n°91-179 du 25 juin 1991 portant convocation de la Conférence nationale, modifié par le décret n° 91-182 du 2 juillet 1991, JORT, 36e année, n°16, n° spécial, 4 juillet 1991, p.2.
[15] KAIROUZ (M.), « Ce jour-là : le 8 juillet 1991, les Togolais placent leurs espoirs dans une Conférence nationale », Jeune Afrique, 7 juillet 2016, https://www.jeuneafrique.com/338712/politique/jour-8-juillet-1991-togolais-placent-leurs-espoirs-conference-nationale/